Place de la rééducation maxillo-faciale dans les dysfonctions temporo-mandibulaires - VousKine

Place de la rééducation maxillo-faciale dans les dysfonctions temporo-mandibulaires

La kinésithérapie maxillo-faciale qui englobe les techniques de rééducation myo-fonctionnelle et de thérapie manuelle de la sphère tête et cou, est une spécialité encore peu pratiquée dans notre profession. Elle trouve pourtant une place de plus en plus importante dans la prise en charge des patients souffrant de D.T.M (Dysfonctionnements Temporo-Mandibulaires) et/ou d’algies oro-faciales, pathologies très présentes dans la population générale

Pour ces troubles, la rééducation oro-maxillo-faciale a été démontrée comme un traitement efficace, qui doit être mis en place de façon la plus précoce possible, surtout lors de l’apparition de douleurs, en complément ou en précédent des autres prises en charge comme les orthèses dentaire occlusales(appelées aussi gouttières), les injections ou les thérapies cognitives ou comportementales en cas de contexte de stress et d’anxiété.

1.DÉFINITION
Les dysfonctionnements temporo-mandibulaires (DTM) sont des myo-arthro-pathies de la mâchoire, de la face et du cou. Pathologies aiguës ou chroniques, elles sont caractérisées par des douleurs persistantes et parfois très invalidantes. Ce sont des pathologies complexes, multiformes, multiétiologiques dont les principaux signes sont l’algie, la dyskinésie mandibulaire et parfois des bruits articulaires (BAD). Les DTM sont fortement modulés par les facteurs psycho-émotionnel. Les DTM touchent près de 20% de la population et représentent la 2e cause des troubles musculo-squelettiques (après les lombalgies). Ils touchent de façon prédominante les femmes (2 femmes pour 1 homme) entre 15 et 45 ans (selon Locker, Helkimo)[1]

Malheureusement, le manque de connaissance et de praticiens formés pour la prise en charge de cette pathologie entraîne une errance diagnostique et thérapeutique parfois très longue (5 ans en moyenne selon LOOK, 2000).

2.QUELLE PRISE EN CHARGE ?
Le consensus actuel concernant la prise en charge consiste à privilégier la physiothérapie fonctionnelle oro-faciale, le port d’orthèse dentaire occlusale nocturne, l’éducation thérapeutique du patient, l’identification d’attitudes parafonctionelles, l’approche cognitive et comportementale, c’est-à-dire des traitements simples, peu invasifs et réversibles. On peut ajouter dans des cas plus spécifiques des approches pharmacologiques (antalgiques, AINS, myorelaxants, anti-dépresseurs…), des injections (toxine botulique), une approche posturale.

3.PHYSIOPATHOLOGIE
Les douleurs peuvent avoir une composante musculaire, articulaire (douleurs d’origine périphériques) ou centrale (douleur chronique). Lors de D.T.M, des myalgies des muscles masticateurs, mais aussi des muscles cervicaux (SCOM, trapèzes, sous-occipitaux…) sont très souvent retrouvées. Selon une étude réalisée par R. Van Grootel et al. en2017[2], sur 150 patients, les différentes techniques de rééducation maxillo-faciale, associées parfois à des techniques au niveau des cervicales, ont permis une diminution des tensions musculaires même sur du long terme et surtout une diminution de la douleur. Sur des patients avec des symptômes faibles, la physiothérapie avait des résultats dès la 1re consultation, d’où l’intérêt d’un diagnostic précoce pour permettre une prise en charge kinésithérapique rapide et limiter le risque de chronicisation de la douleur. Même si la rééducation oro-faciale ne permet pas une amélioration complète des symptômes à elle seule, elle entraîne la plupart du temps une diminution de la douleur et de la symptomatologie.

4.LES TECHNIQUES DE TRAITEMENT
Diverses techniques sont utilisées pour le traitement des DTM[3, 4, 5] par les kinésithérapeutes, dont la rééducation intra-orale, ciblée sur l’articulation temporo-mandibulaire et les muscles masticateurs. Elle peut être utilisée seule et induit une diminution de la symptomatologie.
Au niveau musculaire, la technique de levée de tension du muscle masséter entraîne une baisse du tonus musculaire de façon significative.
Au niveau articulaire, la technique de décoaptation de l’ATM (Photo 1) et les manœuvres de pompage permettent une diminution de la pression supérieure au niveau de la tête condylienne et une mobilisation du liquide synovial. Toutefois, plusieurs études ont montré l’intérêt de combiner ces techniques à un traitement rééducatif des cervicales voir des épaules ; une prise en charge élargie (face, cou, épaules) semble en effet améliorer le résultat dans la diminution des symptômes des DTM, notamment des myalgies.
Les différentes techniques spécifiques à la rééducation maxillo-faciale des DTM comprenant des massages des muscles masticateurs (Photo 2) (masséters, temporaux, ptérygoïdiens médiaux…) mais aussi l’apprentissage d’auto-massages par le patient afin de le rendre acteur et autonome de son traitement, les manipulations de l’ATM, la prise en charge des dyspraxies oro-faciales (langue, lèvres…) doivent également s’accompagner d’une rééducation de la posture tête-cou-épaules. Inversement, il est également intéressant lors de cervicalgies chroniques de réaliser un bilandiagnostic de la sphère oro-faciale afin de pouvoir mettre en évidence la présence éventuelle d’un DTM. Le traitement de la cervicalgie devra alors s’accompagner d’un traitement kinésithérapique et éventuellement par orthèse du DTM. La physiothérapie oro-faciale est donc un traitement efficace lors des DTM permettant une diminution rapide de la symptomatologie, en particulier de la douleur, qui est (et de loin !) la première cause de consultation pour les patients. Elle reste également probante à long terme et selon l’étude de Gemma Victoria Espí – Lopez et al.[3], 93% des patients, ayant été traités avec de la rééducation maxillofaciale pour leur DTM, n’avaient plus besoin de traitement, même 1 à 4 ans après la fin de leur prise en charge. Elle permet lorsqu’elle est associée à d’autres traitements (éducation thérapeutique, approche cognitive et comportementale, orthèse occlusale) une augmentation de la réussite du traitement final.

Résultat post-rééducation au niveau de la douleur :
Sur ce schéma, nous pouvons comparer les effets de la rééducation (physio) et les effets de la mise en place d’une orthèse occlusale (splint), au cours des semaines suivant la mise en place de ces traitements, sur la douleur ressentie par le patient (cotée via une Échelle Visuelle Analogique en mm). Lors des traitements réussis (STx), nous pouvons voir que la physiothérapie permet de baisser la douleur de façon plus rapide que l’orthèse et sur du long terme (plus de 80 semaines après). Dans les traitements infructueux (Utx), la rééducation, tout comme les orthèses occlusales, permet une diminution de la douleur, mais de façon insuffisante.
Les traitements sont alors interrompus. Il serait, dans ces cas, intéressant de coupler les deux types de traitement, pour potentialiser et peut-être permettre une plus grande efficacité, notamment sur la douleur.

5.UNE APPROCHE MULTIDISCIPLINAIRELa prise en charge doit être réalisée en réseau de soin incluant la collaboration de chirurgiens-dentistes, éventuellement spécialisés dans la gestion de l’occlusion dentaire (occlusodontologiste), orthodontistes, chirurgien-maxillo-faciaux, médecins généralistes, ORL, orthoptistes, podologues… Cette approche globale du patient rassure le patient et favorise l’efficacité des traitements mis en place. Les conseils et l’éducation thérapeutique bien qu’essentiels ne peuvent suffire comme traitement des DTM. R. Van Grootel et al. [2] a montré qu’il était préférable de commencer par un traitement de physiothérapie oro-faciale puis l’associer à une orthèse si les résultats obtenus ne sont pas suffisants.

6.L’AUTO-RÉÉDUCATION
Alors que la physiothérapie oro-faciale a démontré son importance et son efficacité et à l’heure où la téléconsultation entre dans notre champ de compétences, une étude de Hedwig A van der Meer et al.[6] s’est penchée sur l’intérêt d’utiliser les applications montrant les exercices à réaliser par les patients. Même si notre profession est avant tout manuelle, il faut s’intéresser à ces nouvelles technologies qui occupent de plus en plus de place dans notre quotidien et celui de nos patients. Celles-ci sont utiles en complément des soins de rééducation, mais ne permettent pas, utilisées seules, un traitement efficace. Il apparaît alors l’utilité de nous approprier ces nouveaux outils afin de leur donner la place qu’il leur revient dans nos traitements :

pas celle de nous remplacer, mais celle de permettre d’accompagner nos patients entre nos séances,
permettant un suivi et une continuité des soins (Photo 3).

EN RÉSUMÉ
La physiothérapie oro-faciale a démontré son efficacité comme un traitement essentiel lors de la prise en charge des DTM. Elle doit être effectuée de façon précoce et même en 1re intention, en complément de l’éducation thérapeutique, de l’approche cognitive et comportementale. Elle peut être associée dans un deuxième temps à une orthèse dentaire occlusale de port le plus souvent nocturne. Cette rééducation doit également être assez large et inclure une prise en charge des cervicales, voire des épaules. Elle peut être complétée par des auto-massages et des exercices d’auto-rééducation réalisés par le patient, guidés selon les besoins par des applications numériques dédiées à ce domaine.